J’ai longtemps peint les murs à la chaux dont j’avais découvert l’aspect velouté qui semblait
comme par magie effacer l’enfermement par les murs. Mais la chaux est poussiéreuse et volatile,
un mode de vie pour le moins archaïque difficile à proposer à mes clients ! De plus, les couleurs
sont très limitées, en particulier quand on veut éviter les pigments toxiques.

Au début des années 80, j’ai découvert à Bruxelles une petite fabrique de peinture artisanale,
les établissements Linkckx Paonlin qui avaient mis au point en 1934 la peinture la plus mate
imaginable. Spécialement conçue pour éviter les reflets sur les décors de façade des cinémas,
et les décors de théâtre ou de studio de télévision, elle remplissait parfaitement mes critères
en terme d’esthétique.

J’ai alors commencé à faire pour mes clients des mélanges à partir de leur gamme de peinture.
J’ai donc pu longuement éprouver la qualité de durabilité et la rapidité de pose de leurs produits.
Il était tout naturel dès lors de leur demander de fabriquer mes peintures quand j’ai voulu
commercialiser ma propre gamme de couleurs en 1996 pour la marque EMERY&Cie.

Mais quand, après 28 ans, l’histoire s’est brusquement arrêtée en 2024, il me restait à reprendre
mon baluchon pour trouver un autre fabriquant. Heureusement, entretemps, beaucoup de marques
plus ou moins artisanales s’étaient développées avec des critères proches des miens. Aussi j’ai
rapidement rencontré la marque ARGILE qui avait en plus l’énorme avantage de pouvoir enfin
offrir une qualité biosourcée.

 

 

La peinture, je crois être tombée dedans dès ma naissance !
A l’âge où d’autres jouent avec des cubes, j’ai massacré avec délectation une énorme
boîte de pastels que ma mère avait héritée d’un peintre, ami de mon grand-père.
Mes livres de chevet étaient « Les chatons barbouilleurs » (un sympathique gang
de petits chats maladroits, ils faisaient choir des pots de peinture qui se mélangeaient
et découvraient ainsi le secret des mélanges de couleurs) et un énorme livre sur
Botticelli en noir et blanc avec quelques  planches en couleur.
Il faut dire que le milieu familial était favorable à toutes mes tentatives artistiques.

Mon grand-père, aquarelliste amateur mais néanmoins très professionnel dans sa rigueur,
m’a causé bien des petits chagrins en jetant solennellement à la poubelle le si joli tube
de gouache blanche placé sur le côté de mes nouvelles boîtes de peinture parce que « le blanc,
c’est le blanc du papier ». Et donc, bien plus que pour d’autres sujets, parler peinture revient
à parler de moi et de ma famille. J’ai été cette étudiante en architecture qui faisait toujours,
envers et contre tous, ses projets en couleur dans un univers rigoureusement voué au noir,
au blanc et éventuellement au gris.

 

 

La peinture m’a accompagnée toute ma vie, j’ai même travaillé comme « peintre décorateur »
pendant des années, réalisant des fresques et des patines à ma manière (il s’agissait plutôt
de glacis obtenus par superposition de couleurs selon la technique des anciens maîtres sur
chevalet). Il était donc tout naturel pour moi de créer une gamme de couleurs,
j’avais seulement à puiser dans mon expérience.
Et c’est peut-être précisément ce qui différencie ma gamme de l’ensemble des autres gammes
qui ont fleuri depuis : elle n’est pas le résultat d’une recherche dans un bureau de style,
mais les traces vivantes dans ma mémoire des souvenirs de tant de chantiers à gambader
sur les échafaudages (comme « les chatons barbouilleurs »).

 

 

Je voudrais conclure en disant d’où me viennent ces couleurs. La longue fréquentation
des musées et des livres doit bien y être pour une bonne part, mais le plus souvent
c’est « la couleur de l’eau du canal en face du Chien-Vert » qui sera une source
d’inspiration, ou un ciel belge trop pâle, ou… mais les noms des couleurs
le racontent parfois aussi bien.