ZELLIGES :

« Zellige » signifie carrelage en arabe, tous les carrelages. Mais par ignorance du vrai sens du mot, nous en avons réduit l’usage aux carrelages traditionnels de Fès en terre cuite émaillée et taillée. Et en fait il s’agit presque d’un acte manqué tant il est évident que ces carrelages peuvent symboliser inconsciemment la quintessence du savoir arabe en la matière. Donc ce glissement du sens me trouble à peine, alors que je connais maintenant le sens complet de ce mot. Comme si tout était soudain résumé dans un simple carré de couleur, qui, pour utiliser une phrase un peu usée mais néanmoins parfaitement pertinente, « n’est jamais tout à fait le même, ni tout à fait un autre » que son voisin. La singularité de chacune de ces pièces s’exprime d’ailleurs finalement le mieux à mon avis dans la version la plus simple, plutôt moderne par rapport à l’usage traditionnel en mosaïques multicolores : celle d’une surface monochrome, où rien ne vient distraire l’esprit du jeu subtile des variations de la couleur. Pas d’anecdote, seulement une très ancienne technique, très artisanale et forcément parfaitement illustrative de tous les défauts de fabrication que l’industrialisation à cherché à faire disparaître, à force de rationalisations toujours plus lucratives.

La morale de l’histoire, c’est que là où un carreau industriel maintenant arrivé à la perfection de réalisation respire l’ennui et la monotonie, le petit zellige de Fès, lui, tout cabossé, tout imparfait, tout comme nous plein de défauts et de repentirs, nous touche. Comme si, à tout contrôler, nous avions perdu l’essentiel de la magie. Quand la terre trop épurée semble aussi artificielle qu’un plastique, quand les formes sorties d’un moule sont toutes exactement pareilles, quand le passage par le feu est tellement dominé et policé qu’il ne laisse plus rien paraître de sa sauvage participation au processus, et qu’il ne s’agit d’ailleurs plus de fours où brûlent du bois ou des noyaux d’olives, mais d’énergies dûment canalisées : gaz ou électricité. La morale de l’histoire donc, bien en vue sur les murs de ma cuisine, me sert tous les jours à accepter l’accident de parcours, l’intervention de l’autre que ce soit de l’ordre de l’activité humaine ou de la nature, et de considérer que ces contradictions sont une source de richesse. C’est beaucoup d’effet pour de simples petits carrés de terre cuite émaillée collés sur un mur, mais vraiment leur pouvoir visuel est si intense qu’ils me servent de référence dans ma démarche concernant tout ce que je produis. Et comme chaque fois que je m’écarte de cette logique je suis déçue, je ne suis pas près de m’en lasser.

Les zelliges sont fabriqués au Maroc à Fès, uniquement avec la terre de Fès, … la seule qui reste capable de produire la magie !

La cuisson dans un four primitif, alimenté par de la sciure de bois, des branchages et des noyaux d’olive, est néanmoins conduite avec une connaissance pointue de l’enfournement et du feu, appuyée sur une longue tradition.

Après émaillage le carreau est taillé en biseau à la main afin de pouvoir réaliser un joint très fin.
Les formes traditionnelles composeront des décors géométriques (le coeur est une exception en l’honneur de la visiteuse !).

Nous avons aussi exploité ce merveilleux savoir-faire traditionnel pour ressusciter les décors créés au XVIe. siècle en Inde par leurs lointains cousins, les Moghols.