LES PETITS RIENS QUI CHANGENT TOUT :
La cuisine d’Odile était triste. Pas franchement laide, mais vraiment triste à force d’être neutre et banale,
une petite chose désolée en stratifié blanc. Rien qui encourage, en son sein froid, à se nourrir correctement.
Alors Odile a acheté un pot de couleur « absinthe n° 29 »,
il faut dire qu’Odile est une jolie rousse et que la couleur « absinthe » lui sied à ravir,
elle a aussi choisi quelques poignées « Gazelle » pour les placards du haut, et quelques « Escargots » pour ceux du bas.
Disons que c’était un dimanche de printemps, de ceux qui donnent envie de changement, alors vite fait elle a tout changé,
et tout est vraiment changé : la cuisine d’Odile est devenue réjouissante, élégante et drôle.
C’est cela « les petits riens qui changent tout », pas besoin de grands frais ni de grands soucis pour se changer la vie,
il est des détails qui font un monde à eux seuls.
Ils sont toujours présents dans la vie quotidienne, on les touche constamment, et ils sont le plus souvent d’une éprouvante laideur.
Finalement, ces petits objets là sont comme une injure cent fois susurrée par jour,
la trace d’un environnement décourageant qui nous poursuit même dans notre refuge personnel.
Texte écrit le 1 juin 1999 pour présenter la collection de quincaillerie
La beauté des objets de la vie quotidienne ne se mesure pas seulement à la séduction de leur allure.
La qualité de la matière est déterminante et elle ne dépend pas de sa préciosité,
même si certaines matières précieuses sont irremplaçables.
Seul l’or capture la lumière avec un éclat intense et mystérieux.
Mais surtout l’or vieillit bien, car c’est dans l’inéluctable vieillissement des choses qu’on mesure leur qualité et leur économie.
La résistance au vieillissement de l’or n’est cependant pas la voie unique,
car l’important est de bien vieillir et non de ne pas vieillir. Les matières plastiques ne vieillissent presque pas,
au point d’encombrer nos mers, mais elles vieillissent si mal qu’on les jette.
L’économie à l’achat coûte donc très cher à l’usage.
Le toucher est un sens extrêmement précieux dans le travail car il fait très naturellement le tri, hors considérations d’ordre esthétique,
entre ce qui sera agréable à vivre et ce qui ne le sera pas. Jusqu’ici seules les matières « naturelles » survivent à l’examen du toucher.
Apparemment ce sont aussi celles qui résistent le mieux à l’épreuve du temps, non qu’elles résistent systématiquement mieux,
mais simplement que souvent elles deviennent plus belles au lieu de se dégrader.
Extraits de « Agenda de la vie quotidienne » fascicule 3 du livre
“By Agnès Emery Par Agnès Emery”