CE QUI  EST FAIT À LA MAIN :

Toute mon histoire s’est construite autour de l’artisanat à partir de cette découverte fondatrice
parce que « l’imperfection » inhérente au geste de l’homme apporte aux objets identité, surprise et poétique.
Alors que  la répétition machinale toujours à l’identique de la production industrielle sème dans nos vies banalité, ennui et
désolation.  C’est ce que j’ai cherché sans choisir pour autant la voie du luxe extrême, Haute Couture ou Monuments historiques,
qui maintiennent un artisanat sous perfusion, ni la survalorisation du marché de l’art. Sans être si naïve que de croire possible
l’Art pour Tous, car l’art pour tous, finalement c’est l’industrie, je voulais au moins l’art appliqué au quotidien.
Et j’ai trouvé au Maroc  un vrai travail traditionnel produit par des artisans anonymes mais néanmoins reconnus,
guidé par le maître (le mellem ).
Mais, aujourd’hui, j’ai le sentiment d’écrire pour une rubrique nécrologique.
Certains des produits que nous vendons ont déjà été très difficiles à trouver, mais maintenant ils doivent être retirés du catalogue
faute de combattants pour les produire, tandis que d’autres sont des espèces en voie de disparition.
Peur de salir leurs mains et leurs faux vêtements de marque ? Nos fournisseurs ne trouvent plus personne
pour travailler dans leurs ateliers ! D’ailleurs plus un coin reculé du monde, où les gens  se  disent pourtant
heureux de leurs dures conditions de vie, qui ne veuillent que leurs enfants fassent des études pour devenir médecins.
Alors que nous voyons bien, dans nos mondes plus  « civilisés », qu’à force de dévaloriser
les métiers manuels notre système de valeurs fabrique des  sentiments de non accomplissement personnel
dans des pièces closes devant des ordinateurs.
En ligne, nous sommes  reliés au monde au point d’en perdre la tête, mais en même temps
nous sommes coupés de nos  mains et de notre corps au point de remplir les salles de sport d’activités compensatoires.

Extrait de « Ce qui est fait à la main » fascicule 1 du livre 
“By Agnès Emery Par Agnès Emery”