L’ÉLOGE DE L’OMBRE :

De tout ce que mon métier m’amène à tenter de maîtriser, la lumière artificielle est depuis toujours ce que je redoute le plus.

Au point qu’ au début des années 80, je m’éclairais presque uniquement à la bougie ! Une manière de contourner le problème
pas vraiment applicable partout. Et même si j’écris dans « L’Éloge du sombre »  La découverte de  l’Éloge de l’ombre
(Junichirô Tanizaki, 1933), dans les années 1980, fut pour moi un énorme soulagement. Je pouvais mettre des mots sur
la valeur de l’ombre. Car elle est la grande absente de notre formation esthétique, ou plutôt elle est absente en tant que telle.
Le tracé des ombres nous est certes enseigné, mais seulement comme le faire-valoir du volume. Exactement de la même manière
que, dans nos cultures, nous percevons seulement le plein et occultons complètement le vide… Nous pouvons ranger dans le même
cabinet de curiosités l’ombre, le vide et le silence.
(texte extrait de Agnès Emery par Agnès Emery, fascicule 4)

 

 


Hélas le délicieux livre japonais ne m’offrait aucune recette à utiliser dans mon travail.

Or, au même titre que la couleur, la lumière artificielle à le redoutable pouvoir de recomposer un espace, ce qui indique bien
son importance. Le but ne me semble pas pour autant de rechercher une copie de la lumière du jour, car la nuit a son identité
et nous avons besoin de la succession du jour et de la nuit pour notre équilibre. La nuit, l’obscurité, et son cortège de craintes
…et de transgressions !

A l’automne, quand nos jours sont peu à peu mangés par nos nuits et que la lumière diminue, s’installe un instant de tristesse
ou d’inquiétude. Nous savons pourtant que la lumière reviendra, mais la crainte du noir est là,
venue de temps très enfouis de notre histoire.
C’est le moment de penser à l’autre lumière, l’artificielle, celle qui nous sauve du grand noir. Rentrer le soir,
et vite, allumer une lumière douce
est un geste salutaire. Le halo de la lampe définit un espace-refuge que la nuit n’envahit pas.
Il redéfinit les espaces, il raconte une autre manière de les vivre.

Mais n’attendez pas de moi pour autant un flot de lumière, car j’entends bien laisser à l’ombre et même aux ténèbres,
la place qu’ils méritent.