J’ai longtemps peint les murs à la chaux dont j’avais découvert l’aspect velouté qui semblait comme par magie effacer l’enfermement par les murs. Mais la chaux est poussiéreuse et volatile, un mode de vie pour le moins archaïque difficile à proposer à mes clients ! De plus les couleurs sont très limitées, en particulier quand on veut éviter les pigments toxiques.
Alors, au début des années 80, j’ai découvert à Bruxelles une petite fabrique de peinture artisanale, les établissements Linkckx, qui avaient mis au point en 1934, la peinture la plus mate imaginable. Spécialement conçue pour éviter les reflets sur les décors de façade des cinémas, et les décors de théâtre ou de studio de télévision, elle remplissait parfaitement mes critères en termes d’esthétique. J’ai alors commencé à faire des mélanges à partir de leur gamme de peinture pour mes clients. J’ai ainsi pu longuement éprouver la qualité de durabilité et la rapidité de pose de leurs produits.
C’était tout naturel de leur demander de fabriquer mes peintures quand j’ai voulu commercialiser ma propre gamme de couleurs en 1996.
LA PEINTURE :
La peinture, je crois être tombée dedans dès ma naissance ! A l’âge où d’autres jouent avec des cubes, j’ai massacré avec délectation une énorme boîte de pastels que ma mère avait héritée d’un peintre, ami de mon grand-père. Mes livres de chevet étaient « Les chatons barbouilleurs » (un sympathique gang de petits chats maladroits, ils faisaient choir des pots de peinture qui se mélangeaient et découvraient ainsi le secret des mélanges de couleurs) et un énorme livre sur Botticelli en noir et blanc avec quelques planches en couleur. Il faut dire que le milieu familial était favorable à toutes mes tentatives artistiques. Mon grand-père, aquarelliste amateur mais néanmoins très professionnel dans sa rigueur, m’a causé bien des petits chagrins en jetant solennellement à la poubelle le si joli petit tube de gouache blanche aligné sur le côté de mes nouvelles boîtes de peinture parce que « le blanc, c’est le blanc du papier ». Et donc bien plus que pour d’autres sujets, parler peinture revient à parler de moi et de ma famille. J’ai été cette étudiante en architecture qui faisait toujours, envers et contre tous, ses projets en couleur dans un univers rigoureusement voué au noir, au blanc et éventuellement au gris. La peinture m’a accompagnée toute ma vie, j’ai même travaillé comme « peintre décorateur » pendant des années, réalisant des fresques et des patines à ma manière (il s’agissait plutôt de glacis obtenus par superposition de couleurs selon la technique des anciens maîtres sur chevalet). Il était donc tout naturel pour moi de créer une gamme de couleur, j’avais seulement à puiser dans mon expérience.
Et c’est peut-être précisément ce qui différencie ma gamme de l’ensemble des autres gammes qui ont fleuri depuis : elle n’est pas le résultat d’une recherche dans un bureau de style, mais les traces vivantes dans ma mémoire des souvenirs de tant de chantiers à gambader sur les échafaudages (comme « les chatons barbouilleurs »). Forcément le goût en est différent, plus coriace, plus abouti, que sais-je ! En tout cas, je sais reconnaître la qualité d’une peinture et son pouvoir couvrant, ce n’est donc pas moi qui accepterais de mettre trois couches alors que je peux, avec une peinture de qualité, arriver au même résultat en une couche. Je sais aussi qu’une peinture choisie sur un petit carré imprimé dans une gamme sera bien différente sur les murs et dans la lumière du lieu, mais ça, tout le monde l’a un jour ou l’autre appris à ses dépens. Aussi, je vends des cartons peints dans toutes les couleurs de notre nuancier pour les confronter avec une lumière et un lieu bien réels.
Je voudrais conclure en disant d’où me viennent ces couleurs. La longue fréquentation des musées et des livres doit bien y être pour une bonne part, mais le plus souvent c’est « la couleur de l’eau du canal en face du Chien-Vert » qui sera une source d’inspiration, ou un ciel belge trop pâle, ou… mais les noms des couleurs le racontent parfois aussi bien.
Alors voici quelques histoires de couleurs :
A Marrakech, à la recherche d’un peu de fraîcheur, nous sommes allés jusque au «Vert Citron»,
tout spécialement conçu pour une toute petite maison dans la grande.
Même cause, même recherche de couleur rafraîchissante pour la grande maison …
Rien de tel avec ce vert A.A.M qui a été créé pour mettre en scène une exposition sur les cités-jardins,
aux Archives d’Architecture Moderne à Bruxelles.
Quant à cet orange éclatant, alors que nous ne manquions pas dans notre gamme de couleurs plus conformes à celles du fruit,
nous avons eu envie de réveiller un décor avec cette couleur qui s’est révélée très agréable à l’usage.